avec Delphine Parois, responsable RSE et référente société à mission, Strategir
Explorer la RSE à travers celles et ceux qui la vivent
Avec Derrière la RSE – paroles d’engagement, Aggelos part à la rencontre de dirigeant·es qui cherchent à concilier convictions personnelles, réalité économique et impact durable.
Face à l’urgence écologique et sociale, les entreprises ne peuvent plus se contenter d’intentions. Cette série d’entretiens donne la parole à celles et ceux qui font vivre la responsabilité au quotidien.
➡️Derrière la RSE, paroles d’engagements
À travers ces entretiens, nous explorons la façon dont l’engagement se construit : souvent sans plan, à force d’intuition, de tensions, d’essais et d’erreurs. Il ne s’agit pas de dresser des modèles, mais de comprendre comment la RSE s’enracine peu à peu dans les cultures d’entreprise, jusqu’à devenir un langage commun.
Chaque échange révèle une manière d’agir, une cohérence, une trajectoire singulière.
rencontre avec Delphine Parois, responsable RSE et référente société à mission chez Strategir, institut d’études marketing basé à Bordeaux et Paris.
De la recherche marketing à la société à mission, elle raconte le long chemin d’une entreprise qui apprend à relier la tête, le cœur et le corps — sans perdre sa rigueur ni son humanité.
Une histoire d’ancrage et d’intuition
Éloi Choplin : Cela fait plus de vingt ans chez Strategir. Racontez-nous un peu…
Delphine Parois : J’ai rejoint Strategir en 2001 après un passage à Paris. À l’époque, quitter Paris, c’était presque perçu comme un manque d’ambition. Mais je savais que ce n’était pas mon chemin.
Luc Milbergue, le fondateur, avait une vision singulière : il a instauré les 35 heures dès le début, mis en avant l’équilibre et la confiance. C’était déjà une entreprise profondément humaine, avant même que le mot “RSE” ne fasse partie du vocabulaire courant.
Je travaillais sur le marketing pur, études, tests de packagings, analyses consommateurs. On ne se posait pas encore la question du sens : on “faisait bien le job”. Et pourtant, quelque chose dans la culture de Strategir rendait le questionnement possible.
Quand le sens devient vital
E. C. : À quel moment ce besoin de sens est-il devenu incontournable ?
D. P. : Vers 2017, la question du sens s’est posée. Le marketing, c’était faire vendre toujours plus, sans se demander pourquoi. Certains sont partis pour cette raison. Moi, j’ai commencé à me poser la question du “pour quoi”.
En 2018, un séminaire d’équipe a ouvert une brèche. À ce moment-là, on ne parlait pas encore d’impact client ou de transformation du business model. On voulait simplement agir mieux à l’interne, mettre en place des gestes concrets de responsabilité au quotidien.
Puis le Covid a bouleversé nos rythmes. Paradoxalement, ça nous a offert un temps de respiration. On a beaucoup échangé avec Emmanuel Delsuc, Directeur Général de Strategir à cette époque. Nous avions cette intuition commune : on ne pouvait pas continuer comme avant, mais nous ne savions pas encore comment.
Quand je suis allée à Produrable en 2021, cela a été un électrochoc. J’ai découvert un écosystème vivant, engagé, structuré depuis des années. Et je me suis dit : “Il y a déjà des solutions. Il faut qu’on s’y mette sérieusement.”
De la raison d’être à la société à mission
E. C. : Comment avez-vous fait pour transformer ces intuitions en démarche structurée ?
D. P. : Nous avons travaillé trois ans, pas à pas. Avec Emmanuel, l’ensemble de la Direction de cette période, et un groupe de pionniers volontaires. Nous avons défini notre raison d’être, puis notre modèle de mission. Et nous nous sommes rendus compte que beaucoup de choses existaient déjà, inscrites dans l’ADN de Strategir, mais jamais formalisées.
Devenir société à mission et obtenir la certification B Corp a été une suite logique, non un aboutissement. Le plus difficile reste d’embarquer l’ensemble des équipes.
L’embarquement : entre lucidité et lenteur
E. C. : Comment avez-vous conduit cette transformation en interne ?
D. P. : Nous avons maintenu le groupe des pionniers, qui se réunit chaque mois pour imaginer de nouvelles actions. Nous avons également un collectif de managers, baptisé Manag’ir, qui fait vivre les valeurs de Strategir dans les équipes et que l’on a récemment interrogés sur la manière dont la mission s’incarne au quotidien dans leurs équipes.
Les échanges ont révélé un point sensible : la mission peut être perçue comme un concept trop intellectuel, trop en hauteur et éloigné du quotidien. Les manageurs adhèrent aux valeurs, mais ne voient pas toujours comment les traduire dans leurs pratiques.
Or, nombre d’entre eux vivent déjà la mission sans le savoir : coopération, attention, process responsable… Notre défi consiste à rendre visible ce qui existe déjà, à reconnecter les gestes du quotidien à la raison d’être, sans discours abstrait.
Quand le changement passe par soi
E. C. : Vous avez aussi vécu la Convention des Entreprises pour le Climat. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
D. P. : Tout. La CEC agit comme une lessiveuse. Trois jours d’immersion sur la 1ère session, et tout bascule. En rentrant, mes proches m’ont dit : « Tu n’es plus la même. » C’est vrai. Cette expérience m’a appris que la transformation ne pouvait pas rester intellectuelle : elle doit traverser le cœur et le corps.
Mais cette évolution crée parfois un décalage : en revenant, nous avons eu le sentiment d’être “en décalage”, voire incompris. Certains collègues nous ont regardés comme des idéalistes. Ce n’est pas du rejet ; c’est simplement une question de rythme.
Et il y a eu des moments plus rudes : certaines prises de parole ou remarques peuvent me déstabiliser intérieurement. J’ai choisi de ne pas me fermer, mais d’y voir une occasion de grandir. Se confronter fait partie du chemin.
La mission, levier de transformation du business
E. C. : Comment la mission influence-t-elle aujourd’hui votre relation aux clients ?
D. P. : Notre premier engagement consiste à encourager et conseiller nos clients vers des démarches plus vertueuses : santé, impact environnemental, éthique. Nous le faisons en animant des conférences, des webinaires, en partageant nos études. Cette prise de parole régulière nous confère une légitimité nouvelle.
Nos clients nous identifient désormais sur ce terrain, même si ce n’est pas encore leur principal critère de choix. Mais demain, cela deviendra une évidence. Lorsque l’éco-conception sera la norme, Strategir sera prête, car nous aurons appris à la penser et à l’évaluer.
E. C. : Et du côté des fournisseurs ?
D. P. : C’est plus lent. Nous travaillons avec des prestataires techniques et des panels qui perçoivent encore la RSE comme éloignée de leurs réalités. Nous avons introduit des clauses et des questions sur leurs engagements dans nos contrats, mais sans contrainte : nous voulons ouvrir un dialogue, pas imposer un modèle.
E. C. : Et les partenaires financiers ?
D. P. : Les banques sont très attentives. Elles perçoivent notre orientation comme un facteur de solidité. Lorsque nous leur parlons de nos engagements RSE, de risques et d’opportunités liés à la transition, cela les rassure.
E. C. : Enfin, l’intelligence artificielle s’impose dans votre secteur. Quelle est votre position ?
D. P. : L’IA soulève de nombreuses questions. Les clients veulent savoir : “Pouvez-vous créer des personas synthétiques ? Interroger des données artificielles ?” La tentation est forte, mais nous devons rester vigilants.
Le Syntec, notre fédération, a publié un manifeste pour une IA éthique et responsable ; nous en sommes signataires. L’enjeu, c’est d’éviter que l’IA ne remplace la compréhension humaine, et d’assumer son impact environnemental. Les grands groupes commencent eux aussi à s’interroger : empreinte carbone, trajectoires SBTi… L’innovation ne peut pas se penser sans conscience.
Tenir la ligne
E. C. : Comment gardez-vous la motivation lorsque le changement semble si lent ?
D. P. : En acceptant le temps long. Je ne peux pas imposer mon rythme au collectif ; je m’ajuste, mais je ne lâche rien. Lorsqu’une porte se ferme, je cherche une fenêtre.
Je puise aussi mon énergie dans le réseau : la CEC, le Syntec Conseil, le Conseil Regen né de la CEC qui regroupent des cabinets de conseil engagés vers l’économie régénérative, ou encore le Collectif Responsables ! by Adetem, qui réunit des marketeurs engagés. Ces espaces nourrissent notre élan.
Et puis, il y a la fierté. Celle d’avoir tenu bon, d’avoir franchi un cap. Lorsque nous trouvons cette cohérence, nous n’avons plus envie de revenir en arrière. Nous pouvons trébucher, ralentir, mais pas reculer.
La mission, au-delà du label
Par Eloi Choplin : « Chez Strategir, la société à mission n’est pas un label, c’est un mouvement intérieur.
Celui d’une entreprise qui réapprend à relier le rationnel et le sensible, l’individuel et le collectif.
Et c’est aussi ce qu’Aggelos partage dans sa propre trajectoire B Corp : faire de la responsabilité une culture vivante, pas un discours. »